jeudi 4 décembre 2008

Proroger, pas proroger

Déçu que je suis de la décision de la Gouverneure Générale, je ne peux cependant me joindre à ceux qui réclament à grands cris que lui soit infligé un châtiment digne de "l'incompétence crasse dont elle a fait montre aujourd'hui en ne se mettant pas au service de la démocratie" (tiré du statut Facebook d'un étudiant en science politique de l'Université de Montréal dont je tairai le nom).
Du point de vue constitutionnel, la GG ne pouvait que difficilement refuser d'accéder à la demande du Premier Ministre Harper. Notez que "difficilement" est un euphémisme. J'y reviendrai plus loin. Avant tout, je vous suggère la lecture d'un texte qu'a publié un collègue et ami sur la faiblesse des arguments avancés par les conservateurs pour discréditer la coalition NPD-PLC.

Considérant que, du point de vue du suffrage démocratique, la coalition (NPD-PLC) a obtenu 44% des voix contre 37% pour les conservateurs (le Bloc et les Verts ne sont pas comptés dans le 44% qui devient, avec les voix que ces deux partis ont obtenues, 60%) et que l'accord signé par le NPD, le PLC et le Bloc assure la survie du gouvernement pour 18 mois (durée moyenne d'un gouvernement minoritaire), difficile d'accorder aux arguments conservateurs le statut de "béton"... Et oui, je suis pour la coalition.

La coalition peut donc être considérée comme légitime démocratiquement et stable. L'indignation de certains envers la décision de la GG, cependant, me semble moins légitime. Si je suis en désaccord total avec la décision d'accepter la demande de prorogation, l'esprit de la neutralité axiologique me pousse à me ranger du côté de certains constitutionnalistes (cités dans de nombreux articles sur le site de Radio-Canada) et de me dire que Michaëlle Jean n'avait pas vraiment le choix. Pourquoi?

Parce que, le poste de GG n'est plus titulaire, en pratique, des mêmes pouvoirs qu'en 1867. Bien qu'à cette époque la population élisait la Chambre, c'était la GG (et donc la Reine) qui nommait le gouvernement. Par le truchement des conventions constitutionnelles (changements introduits progressivement dans la pratique politique quotidienne au lieu d'un changement de la constitution), le gouvernement est devenu l'affaire du vote populaire et le désir d'effacer l'influence de la Reine a fait en sorte que le Premier Ministre, fort de sa légitimité démocratique, devenait, à toutes fins pratiques, l'unique conseiller de la GG.

C'est ce qui explique que d'un point de vue constitutionnel, Mme. Jean ne pouvait pas vraiment s'opposer à la demande de M. Harper.

Bon, je vous ai eu. Le but caché est de vous poser la question suivante: considérant que Jack Layton et Stéphane Dion ont tous deux écrits à la GG pour lui signifier que le gouvernement Harper n'avait pas la confiance de la Chambre, l'argument de la légitimité démocratique est-il valide? Et les conséquences de la prorogation sur l'avancement des travaux, particulièrement en période de crise économique ne sont elle-pas inquiétantes? Et pour les geeks: y aurait-il un débat à avoir sur le déontologisme versus le conséquentialisme? (Je sais pas, l'idée m'est venue environ 3 secondes avant que j'écrive la phrase, mais il me semble que ce serait intéressant de réfléchir à ça) Considérant la situation économique, se conformer à des règles formulées de façon à limiter les atteintes à la démocratie que constitueraient un usage abusif des pouvoirs du poste de GG est-il vraiment la meilleure voie?


3 commentaires:

Maxime a dit…

La réponse sera divisée en trois temps:

Argument de la légitimité démocratique: Par cette question que tu poses, je comprends "Mme Jean devait-elle suivre les conseils de M. harper, représentant démocratique de la population canadienne?"

Et à cette question je réponds non. Ma réponse est motivée par la piste de solution présentée dans la question, soit que les partis de l'opposition, détenant collectivement plus de sièges que l'actuel parti gouvernemental, et ayant fait connaître leur désir de gouverner conjointement, représentent actuellement le désir démocratique d'une majorité d'électeurs canadiens. La seule raison qui fait que le gouvernement Harper tient encore est qu'il a modifié l'agenda parlementaire pour repousser les votes de confiance. Il a déjà perdu la confiance de la Chambre; celle-ci n'a simplement pas encore eu la possibilité de concrétiser tout cela par un vote.

Les conséquences de la prorogation: Elles sont définitivement inquiétantes. En premier lieu, en pleine crise économique, la Chambre n'a pas voté les budgets des ministères, et ça, c'est tout un problème. Ensuite, rien ne sera traité d'ici le 26 janvier. Enfin, le 26 janvier, les conservateurs devront déposer un discours du trône (vote de confiance) qu'ils risquent de perdre. Ensuite, ils devront présenter un budget, aussi vote de confiance. Si les deux passent, alors les conservateurs resteront en poste...jusqu'à la prochaine fois, qui risque de se produire rapidement, puisque la course à la chefferie du parti libéral sera terminée en mai. Si le discours du trône ou le budget ne passent pas, alors la coalition devra présenter un discours du trône puis un budget, qui devraient, selon les termes de l'entente, être adoptés en Chambre.

Ceci revient à compliquer le processus pour rien. Stephen Harper ne pense pas à l'intérêt du pays quand il proroge la session. Il pense à son intérêt. En plus de la perte de légitimité démocratique du gouvernement, Mme Jean aurait pu citer l'intérêt national pour justifier un refus de proroger la session.

Enfin, je crois que la question utilitarisme/déontologisme est mal posée. Elle serait pertinente dans un cadre dans lequel on opposerait la Constitution d'une part et une action exceptionnelle, de l'autre part. Toutefois, dans le cas qui nous préoccupe, on fonctionne dans le cadre de conventions constitutionnelles. On ne peut pas vraiment citer l'argument déontologique, car il n'y a pas de règle spécifique reliée à la "prorogation demandée par un premier ministre en perte de légitimité démocratique faisant face à une opposition souhaitant former coalition dans un contexte de crise économique." En fait, il n'y a pas de règle constitutionnelle claire reliée à la demande de prorogation par le Premier ministre. Il y a convention constitutionnelle à cet effet, mais le fait d'adopter une convention me semble tout aussi utilitariste que le fait de briser une convention - puisque les conventions, a priori, ne sont ni des droits, ni des lois.

Friedrich W. a dit…

D'accord avec pas mal tout ce que tu dis. Mais.
Sur la question des conventions constitutionnelles, si on se met d'accord sur le fait qu'une convention n'est pas une loi ou un droit, elle reste une norme, non? Au sens où elle est reconnue publiquement et possède donc une légitimité. La non observance de cette norme encourrait une réaction négative. Et le fait que la GG doive, par convention, se plier aux recommandations du premier ministre, découle de la volonté d'assurer que le pouvoir reste dans les mains d'instances jouissant d'une légitimité démocratique.

Que le gouvernement Harper n'aie pas cette légitimité démocratique, certes. Qu'il n'aie pas la confiance de la chambre, certes. Et dans ce cas-ci, contrevenir à la norme serait justifiable, surtout si on pense aux conséquences de la prorogation pour les Canadiens. Mais, de deux choses l'une, elle ne l'a pas fait et en plus, le consensus parmi les constitutionnalistes semblait être que elle ne devait pas refuser la demande de M. Harper. Je pense que en ce sens, on peut déceler un motivation déontologique: même dans un cas où les conséquences de contrevenir à la norme ont de fortes chances de bénéficier au peuple, on préfère observer la règle. Pourquoi? Je laisse la question ouverte.

Unknown a dit…

j'savais pas que t'avais un blog.. quelle belle surprise! :)

la gg a fait beaucoup d'heureux en alberta ça c sur